Rescapé de la Shoah et inlassable vigie des violences policières, Maurice Rajsfus, décédé samedi à l’âge de 92 ans, a consacré sa vie à dénoncer la répression sous toutes ses formes.
Dans son « Journal discordant », publié il y a une vingtaine d’années, l’éternel rebelle expliquait avoir le sentiment d’être « en sursis depuis la rafle du Vel’d’Hiv, d’être l’aléatoire titulaire d’un long bail extorqué à ceux qui ont cherché à me détruire, comme ils l’ont fait avec mes parents, avec toute ma famille ».
Né le 9 avril 1928 en banlieue parisienne, de parents juifs polonais, sa vie bascule avec la défaite de 1940 et les premières lois antisémites du gouvernement de Vichy. Le matin du 16 juillet 1942, le jeune Maurice – âgé de 14 ans – et sa famille sont arrêtés chez eux par deux policiers. L’un d’eux est leur voisin de palier. Ils sont victimes de la rafle du Vel d’Hiv. Si Maurice Rajsfus et sa soeur Jenny alors âgée de 16 ans en réchappent (un policier avait dit à sa mère que les enfants de nationalité française de 14 à 16 ans pouvaient sortir du camp où ils avaient été rassemblés avant d’être conduits à Drancy), leurs parents seront assassinés à Auschwitz.
Des années plus tard, Maurice Rajsfus expliquera: « J’en veux profondément à la police de ce pays, plus qu’aux Allemands; sans cette police, les nazis n’auraient pas pu faire autant de dégâts. Depuis 1942, je me sens en retrait vis-à-vis de mes compatriotes: ils ont été plutôt veules, et ça n’a pas beaucoup changé ensuite ».
Maurice Rajsfus a travaillé dans plusieurs journaux. Il fut notamment secrétaire de rédaction au Monde, mais son engagement militant ne faiblit pas.Témoin de la violence des forces de l’ordre le 17 octobre 1961 contre les Algériens manifestant à Paris, le 8 février 1962 au métro Charonne, et pendant mai 68, il commence à traquer les dérapages de la police. Il devient « historien de la répression », dresse des fiches jusqu’à en rassembler des milliers.
En 1994, il fonde l’Observatoire des libertés publiques en compagnie de quelques auteurs engagés comme l’écrivain Didier Daeninckx. Il fut aussi un des initiateurs du réseau « ras l’Front » (contre le Front national) dont il sera président pendant quelques années. Cité comme témoin de la défense au procès de Maurice Papon, il avait refusé de se soumettre à la convocation et avait finalement été dispensé. « Envoyez-moi les gendarmes. Ça sera bien de voir un rescapé de la rafle du Vél d’Hiv, fils de victimes, être obligé de témoigner en faveur d’un complice des bourreaux », avait-il écrit au président du tribunal.
Il avait arrêté ces dernières années de recenser sur ses fiches de bristol les dérapages policiers mais continuait de suivre l’actualité et dénonçait régulièrement les violences policières. Il critiquait également sans réserve la politique du gouvernement israélien et défendait la cause palestinienne. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages, il avait récemment confié à Libération son souhait de vouloir transmettre ses archives d’articles autour de violences policières, méticuleusement constituées de 1968 à 2014.